Célèbres anciens : René DEPESTRE

René Depestre est un poète et écrivain français né le 29 août 1926 à Jacmel en Haïti. Il a résidé à la Maison du Portugal (Résidence André de GOUVEIA) de 1946 à 1950. Depestre fonde dès 1942 un hebdomadaire avec trois amis : Baker, Alexis, et Gérald Bloncourt: La Ruche (1945-46). « On voulait aider les Haïtiens […]

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René Depestre est un poète et écrivain français né le 29 août 1926 à Jacmel en Haïti. Il a résidé à la Maison du Portugal (Résidence André de GOUVEIA) de 1946 à 1950.

AVT_Rene-Depestre_8240Depestre fonde dès 1942 un hebdomadaire avec trois amis : Baker, Alexis, et Gérald Bloncourt: La Ruche (1945-46). « On voulait aider les Haïtiens à prendre conscience de leur capacité à rénover les fondements historiques de leur identité » (dit-il dans Le métier à métisser).

Le gouvernement fait saisir le numéro de 1945 consacré à André Breton, ce qui déclenchera l’insurrection de janvier 1946.

Haïtien de langue française, il publie dès ses 19 ans, en 1945, ses premiers vers dans le recueil Étincelles. L’ouvrage est préfacé par Edris Saint-Amand.

Actif dans la vie politique de son pays, il est l’un des dirigeants du mouvement étudiant révolutionnaire de janvier 1946, qui parvient à renverser le président Élie Lescot. Après la prise du pouvoir par l’armée,  il est incarcéré, puis doit quitter son île natale pour partir en exil en France.

Dans la capitale française il poursuit des études de lettres et en sciences politiques à la Sorbonne (1946-1950). Tout en résident à la Cité, il fréquente les poètes surréalistes français et des artistes étrangers, ainsi que les intellectuels du mouvement de la négritude, qui se réunissent autour d’Alioune Diop et de Présence Africaine.

Depestre participe activement aux mouvements de décolonisation en France, et il est expulsé du territoire français.

depestre__unesco__02Après être passé par de nombreux pays, invité par Che Guevara, il s’installera dès 1959 pendant près de 20 ans à Cubas, où il occupera d’importantes fonctions au sein du gouvernement castriste (Ministère des Relations Extérieures, Éditions nationales, Conseil National de la Culture, Radio Havana-Cuba, Las Casas de las Américas, Comité de préparation du congrès culturel de la Havane en 1967).

Dans les années 1970, il fuit Cuba et les dérives castristes, et s’installe à Paris où il travaille de nombreuses années pour l’UNESCO.

Il s’installe dans l’Aude à Lézignan-Corbières en 1980. Il obtient la nationalité française en 1991.

Tout au long de ses pérégrinations il a continué a écrire, et s’est vu décerné plusieurs récompenses (Prix Renaudot, Prix du roman de la Société des gens de lettres, prix Apollinaire de poésie, …). En avril 2007, il fut le lauréat du Prix Robert Ganzo de poésie pour son livre La rage de vivre édité aux éditions Seghers.

Témoignage lors des 50 ans de l’Alliance

« Là où l’homme a vécu commence sa légende » a dit un grand poète de ce temps. Après la Place d’Armes de Jacmel, Haïti, mon port natal, la Cité universitaire de Paris demeure dans mon parcours d’écrivain le second chef-lieu où se sont noués les mystères de mes jours et ceux des personnages de mes fictions. Mon humble mythologie est née dans ce foyer des étudiants du boulevard Jourdan, un matin plutôt glacial de l’hiver 46-47. Ce jour-là, le sentiment du merveilleux quotidien, sans s’annoncer, entra à pas de fée moderne dans ma vie.

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Cinquante ans plus tard, ce Jour des Rois ne s’est pas égaré dans les détours aventureux que lui a fait prendre ma traversée du siècle. Les formidables leçons de choses que je dois à mon séjour à la Cité font encore la loi dans mes derniers méandres et elles rafraîchissent la perception que j’ai des certitudes comme des inconséquences de la modernité démocratique.

Métier à métisser

Les coups d’ailes qu’il m’arrive souvent de donner vers le passé conduisent mon temps d’homme mûr autour de la Maison Internationale, où la métaphysique des lieux de mon aventure de poète possède son épicentre sismique. De 1946 à 19 50, en effet, le train de vie d’étudiant à la Cité, à l’aube d’une implacable guerre froide, me fit découvrir, dans un milieu pluriculturel, transnational, le possible contre-pouvoir du livre et de l’écriture, le contre-pouvoir du rêve et de la connaissance, le seul métier à métisser qui soit capable de transcender les clivages pseudo-identitaires du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, sans parler des superstitions « raciales » qui avilissent d’habitude l’hominité1 sacrée de la vie en société.

Je remercie en 1998 les jeunes êtres, garçons et filles-jardins de ma génération que j’ai coudoyés, ces années-là, d’une maison de rêve à l’autre de la Cité, pour les merveilleux contacts de culture et de civilisation que leur savoir-vivre devait mettre à ma portée. Tout en amont de la mondialité qu’on nous fait aujourd’hui, je remercie vivement les temps juvéniles de la Cité de la force naturelle
de tolérance et de civisme mondial qui irriguait alors nos travaux et nos jours d’étudiants.

Un jeune poète de 1948

À la Cité universitaire de Paris, on pouvait déjà apprendre à se méfier de l’identité-à-racine-unique qui fait maintenant les choux gras des dogmes ethno-nationalistes et des divers « intégrismes » à la noix qui ont pignon sur les rues du monde. Un jeune poète de 1948, même quand il était sous le « charme » du messianisme à la soviétique, comme ce fut longtemps mon cas, pouvait toutefois, au fond de son esprit d’enfance, adhérer secrètement à la notion d’identité multiple.

René Depestre - hadriana-dans-tous-mes-revesCinquante ans après 48, à l’heure du bilan des« anciens de la Cité», à l’heure de la réévaluation générale des repères du vingtième siècle, n’est-ce pas cette vision d’une « identité-banian »2 qui tient notre vieil âge d’homme à l’abri de la sorcellerie péremptoire des utopies de la haine et du mépris qui cherchent à déshonorer le silo des raisons de vivre que le monde a accumulées en matière de justice, de démocratie, de civisme et de civilisation ?

Pour avoir vécu, plusieurs années durant, comme un poisson heureux dans l’eau universitaire de la Cité, il n’ a été possible d’éviter que des croyances meurtrières du siècle truquent à jamais mon intégrité d’artiste et de citoyen. Animal d’intégration du « chez-soi-haïtien » et du« chez-autrui-à-la-française », grâce sans doute aux années d’apprentissage à la Cité, (« Tout apprentissage est un métissage », Michel Serres dixit), je peux aujourd’hui, face au vent mortifère des nationalismes de tous bords, rester imperturbablement un métisserand des choses principales de la vie et de la tendresse, comme un cerf d’Italie au passage d’une tempête sans foi ni loi.

Source : Lehman, wikipedia, Brochure des 50 ans de l’Alliance Internationale
Photos : DR Alliance Internationale

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  1. L’hominité, c’est appartenir à l’espèce humaine ; l’humanité, c’est d’y mettre du coeur.
  2. Un banian, ou figuier de l’Inde, remarquable par ses racines adventices aériennes. Depestre se voit plutôt comme un nomade aux racines multiples, un « homme-banian », voire comme un « géo-libertin ».

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