Ingénieur de formation, Raoul Dautry a été ministre, dirigeant d’entreprises publiques et 2ème président de la Cité internationale universitaire de Paris.
Dautry et ses « cheminots »
Né le 16 septembre 1880 à Montluçon dans l’Allier, Raoul Dautry est diplômé de l’École polytechnique (promotion X1900).
À la fin de ses études, il rejoint la Compagnie des chemins de fer du Nord. Créée en 1845 par le banquier James de Rothschild et ses associés, elle exploite la concession par l’État des lignes de Paris à la frontière belge par Lille et Valenciennes, avec des embranchements annexes. Elle acquiert rapidement une forte densité de réseau et de trafic, et sert de modèle aux autres grandes compagnies. Elle est une des principales composantes de la SNCF créée en 1938 que Monsieur Dautry intégrera dès sa création en tant qu’administrateur.
Lors de la première guerre mondiale, il s’illustre une première fois en 1914 en mettant au point un système de circulation des trains permettant aux renforts de se rendre sur le front de l’Est, puis une seconde fois, en 1918, en créant la « voie des cent jours » (une voie de chemin de fer de 89 kilomètres, permettant de faire circuler les 150 trains par jour que nécessitait l’approvisionnement des troupes stationnées dans le nord de la France).
Au lendemain de la guerre, il fait sortir de terre 12.000 logements de cités-jardins. Il deviendra, quelques années plus tard, directeur général de l’administration des chemins de fer de l’État de 1928 à 1937. Durant son mandat, il réorganise la Compagnie Générale Transatlantique et de l’Aéropostale.
Dautry est ministre de l’Armement du 20 septembre 1939 au 16 juin 1940. Il crée la Compagnie des travailleurs militaires pour trouver une main-d’œuvre suffisante à l’effort de guerre.
À la demande de Frédéric Joliot-Curie, il obtient l’accord d’Edouard Daladier, président du Conseil, pour envoyer une mission en Norvège chercher le stock disponible d’eau lourde convoitée par les Allemands. Rapatriée de l’usine de Rjukan, en Norvège, à Paris, l’eau lourde est évacuée en Angleterre le 16 juin 1940 par le contre-torpilleur Milan, en même temps que le général de Gaulle, alors secrétaire d’Etat à la Guerre, qui partait rencontrer le gouvernement britannique.
Il quitte par la suite le gouvernement, il se retire dans le Vaucluse, à Lourmarin, puis reprend son activité au sein des diverses sociétés : Compagnie internationale des wagons-lits, Société générale des chemins de fer économiques, etc. En septembre 1944, il préside le Secours social.
Il est présent aux mauvaises heures de la guerre, dans les ruine de l’après-guerre à la tête d’un réseau discrédité ; au chevet de grandes entreprises malades ; on le voit en 1939 tenter de galvaniser les énergies pour créer en pleine guerre une grande industrie de guerre, aider les malheureux dans la pénurie générale, jeter puissamment les bases d’une reconstruction sans ouvrier, matériaux, ni argent. Les lauriers faciles, les fauteuils bien capitonnés, les paisibles heures de bureau sont pour d’autres ; à lui, la dure bagarre et l’effort sans limite1.
L’homme de la reconstruction et de l’atome
À la Libération, il est nommé ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme dans le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) du général de Gaulle du 16 novembre 1944 au 20 janvier 1946.
C’est à cette occasion qu’il demande à Auguste Perret de reconstruire la ville du Havre. Par la suite, il devient administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
C’est lui qui choisit le site du centre CEA de Saclay dont Auguste Perret construit les bâtiments.
La Cité
Raoul Dautry répondant aux vœux de M. Honnorat, de M. Branet et de M. David-Weill avait accepté en février 1948, la lourde et difficile charge de président de la Cité internationale universitaire de Paris. Durant son court mandat, jusqu’à son décès en 1951, il a initié la construction de 9 nouvelles fondations, animant la seconde période de développement de la Cité.
Dautry considérait la Cité comme une des rares grandes œuvres (peut-être la seule) que la France de l’entre-deux guerres pût mettre à son actif, parce qu’elle est une grande réalisation au service d’une grande idée. Sa passion de construire avait suffi à l’y attirer, mais c’est bien son goût de la sympathie humaine qui l’y retenait. Il l’aimait profondément, parce qu’elle satisfaisait en même temps sa foi patriotique, ses goûts d’artiste, sa volonté de réaliser, et son affection pour la jeunesse.2
C’est pourquoi, lorsqu’André Honnorat estima que ses forces physiques ne lui permettaient plus d’en assumer la charge, Dautry qui faisait depuis onze ans déjà partie du Conseil d’Administration, accepta avec enthousiasme de lui succéder.
Honnorat, Dautry : deux hommes – on devrait presque dire deux époques.
Face au parlementaire des beaux jours de la IIIème République, à l’humaniste généreux et sagace, fondateur et constructeur obstiné de cette Cité Universitaire qui fut l’œuvre de sa vie, Dautry nous apparaît comme le technicien dans toute l’acception moderne du terme, audacieux et compréhensif, le chef qui savait être homme parce qu’il mettait sa confiance dans les hommes dès l’instant qu’avec ce sens psychologique, qu’une longue carrière parmi ses « cheminots » avait terriblement affinée, il leur confiait d’égal à égal une part de la tâche commune, dès l’instant qu’il leur définissait leur métier.3
« Dans le monde actuel – déclarait-il, en 1951, en rendant hommage à André Honnorat – devenu une sorte de carrefour ouvert à de multiples sollicitations matérielles, à des éthiques opposées, à un frémissement général des sensibilités, qui fermentent sous le choc des bouleversements politiques, économiques et sociaux, il est maintenant évident que plus que jamais les hommes ont besoin de disciplines intellectuelles et morales communes, que nous ne devons pas viser à faire seulement des ingénieurs, des médecins, des professeurs, des techniciens, mais à leur donner à tous une véritable culture, c’est-à-dire apprendre à tous ces hommes de métier à dominer leur métier et non pas à se laisser dominer par autant de spécialités.
La Cité internationale universitaire de Paris, où André Honnorat s’est proposé de former des élites de notre civilisation, doit donc exceller à raccorder l’individuel à l’universel, tout en protégeant le caractère original des jeunes étudiants qui l’habitent.
Facteur de notre liberté et de notre diversité, elle doit enseigner à l’être humain à devenir de plus en plus apte à créer l’ordre au dedans de lui-même, contre les poussées aveugles de sa nature instinctive, afin de dispenser dans son plan professionnel, intellectuel, spirituel et social, cette liberté ordonnée sans laquelle il n’existe ni sociétés, ni civilisations humaines. »
Le secret de sa réussite, on peut assurément le chercher dans une maîtrise qui savait intégrer les détails dans les vues les plus générales : «De minimis non curat praetor»4, disait-il en adaptant à son usage l’adage latin. Je crois pourtant qu’il était ailleurs : dans cette chaude passion de sympathie humaine dont vibrait tout son être. « Il ne suffit pas que l’ingénieur connaisse les machines dont il use ; il faut qu’il aime les hommes ». Ce chef exigeant, au commandement brutal, aimait les hommes. Sa colère était de l’affection déçue. Le subordonné qu’il avait sauvagement secoué, il n’avait de cesse qu’il eût trouvé quelque raison de lui rendre son estime et son amitié. […] Raymond Poincaré se croyait, dit-on, « chimiquement pur de tout élément religieux ». Bien plus certainement, Raoul Dautry était chimiquement pur de toute méchanceté. 5
« Tout organisme qui ne se développe pas périclite », disait-il volontiers. On reconnaîtra donc qu’il n’a pas laissé péricliter le magnifique outil placé en ses mains, au seul aperçu des fondations nouvelles achevées, entreprises ou décidées pendant ses trois années de mandat.
Ainsi, en trois ans, la Cité aura grandi de 50 %, avec la mise en place de la Fondation Victor Lyon, la Maison de la Tunisie, la Maison de la France d’Outre-Mer (aujourd’hui Fondation Lucien Paye), la Maison des Arts et Métiers, la Maison du Maroc, le Pavillon du Cambodge, la Maison de Norvège, la Maison du Mexique, Pavillon Walter (l’un des pavillons de la Maison du Maroc), Maison d’Égypte (qui ne sera jamais la Maison d’Égypte, mais du Portugal).
Il lui restait beaucoup à faire sur le seul point du développement matériel. Pendant les dernières semaines de sa vie, il était comme obsédé par la question du service médical, dont le succès impose l’agrandissement immédiat. De Lourmarin (comme dont il était Maire et dans laquelle il est décédé), les lettres, les notes, les fiches roses se succédaient, pressant, insistant, bousculant.
Témoignage du résident René Bocca
Avant d’occuper le poste de directeur de la Fondation de Monaco, Monsieur Bocca a été résident à la Cité. Il témoigne de sa relation avec Raoul Dautry, en tant que représentant de l’AIRCUP, l’association des résidents de la Cité, depuis dissoute.
« Comment oublier un certain samedi soir de mars 1948, où, représentant l’AIRCUP que nous venions de fonder avec quelques amis résidants, il me fut donné d’affronter pour la première fois, mes camarades étant dispersés, notre nouveau président ? Dans une Cité en proie à ses routines, à ses règlements périmés, à ses égoïsmes inavoués comme à ses générosités émouvantes, le mécontentement des étudiants était à peu près général : hausse inexpliqué des loyers, mauvaise qualité des repas, caractère unilatéral des décisions dont nous étions les principaux bénéficiaires -comme les principales victimes, etc., etc.
Je trouvai, tassé dans son fauteuil, l’œil vif, comme prêt à bondir, un diable d’homme, qui acceptait d’emblée la libre discussion, en face duquel on pouvait, sans crainte de sanctions directes ou indirectes, exposer ses griefs, ses illusions déçues comme ses projets, même les plus audacieux. Le soir même, il tint à venir lui-même non seulement goûter la maigre pitance commune, mais encore recueillir, en prenant la place des serveuses, les «doléances des étudiants».
Des réformes suivirent, dont la plus importante fut l’institution d’une commission du restaurant – dissoute depuis – composée de résidants qui, chaque jour, pouvaient librement circuler dans les cuisines et étaient tenus d’inscrire leurs revendications sur un cahier spécial dont l’administration responsable devait rendre compte.
Car, et c’était là un des secrets de son rayonnement et de son autorité, jusqu’à preuve du contraire, Raoul Dautry pariait pour les hommes – étudiants comme cheminots, il admettait, que les critiques ou revendications des responsables méritaient un examen sérieux avant que d’être qualifiées de puériles ou d’exorbitantes. Il pensait que toute expérience intéressante valait d’être tentée. »
- Jean Toutée, collaborateur et ami de M. Dautry pendant vingt ans, Bulletin de l’Alliance de Décembre 1951
- Jean Toutée- Ibid
- René Bocca, ancien directeur de la Fondation de Monaco, Co-fondateur de l’AIRCUP, Secrétaire général de l’Alliance – Bulletin de l’Alliance, Novembre 1951
- Le préteur ne s’occupe pas des petites affaires. Axiome que l’on cite pour signifier qu’un homme qui a de hautes responsabilités n’a pas à s’occuper de vétilles. On dit aussi Aquila non capit muscas (L’aigle ne prend pas de mouches).
- Jean Toutée, ibid
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