Jeanne Thomas, l’initiatrice de l’Alliance Internationale

Jeanne Thomas a été dès 1927 la secrétaire d’André Honnorat, le père fondateur de la Cité. Résistante pendant la Seconde Guerre mondiale, elle donnera l’impulsion nécessaire à la création de l’Alliance, avant d’y finir sa carrière. La vie et l’oeuvre de Jeanne Thomas ont la limpidité d’une vocation sans faille. Cette femme, si discrète sur le rôle […]

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Jeanne Thomas a été dès 1927 la secrétaire d’André Honnorat, le père fondateur de la Cité. Résistante pendant la Seconde Guerre mondiale, elle donnera l’impulsion nécessaire à la création de l’Alliance, avant d’y finir sa carrière.

La vie et l’oeuvre de Jeanne Thomas ont la limpidité d’une vocation sans faille. Cette femme, si discrète sur le rôle qu’elle joua dans la création de la Cité Universitaire, commença sa collaboration avec André Honnorat en 1927.

Alors âgée de 25 ans, Jeanne Thomas travaillait depuis 1924 à l’Office des Universités tout en poursuivant des études d’histoire de l’Art, qu’elle abandonna pour se consacrer entièrement à sa nouvelle tâche. Débordant largement les fonctions d’une secrétaire de Président, les tâches accomplies par Jeanne Thomas aux côtés de celui qu’elle nomme le « patron » sont difficiles à circonscrire, d’autant plus que les archives restent discrètes sur le sujet.

Quelques rares témoignages donnent cependant un aperçu de son rôle. Ainsi Jean Vaujour, ancien résident, membre fondateur et ancien président de l’Alliance déclarait :

« Jeanne Thomas a été la pensée d’Honnorat à la Cité quand les hautes fonctions publiques exercées par celui-ci ne lui permettaient plus de se consacrer entièrement à sa direction. »

Dès son arrivée à la Cité, Jeanne Thomas fut associée aux grands projets du moment. Elle fut l’un des témoins privilégiés de la donation de M. David Rockefeller qui permit ainsi la création de la Maison Internationale. L’achat du mobilier de cette maison, ainsi que d’autres fondations alors en construction, fut en partie confié à ses soins. Mais les liens d’étroite amitié qu’elle tisse alors avec de nombreux directeurs de pavillons reposent sur la nature de sa nouvelle tâche au sein de la Fondation Nationale, où Jeanne Thomas va créer et diriger le service qui correspond le mieux à sa personnalité: celui de l’Accueil. C’est pour elle l’occasion de rapports directs avec les étudiants.

Attentive aux besoins des résidents, elle sait trouver, le cas échéant, les petits travaux qui leur procurent une aide matérielle. Toujours prompte à susciter le contact dans le respect de l’autre et l’échange des idées, elle donnera l’occasion aux résidents, autour de sa propre table, de tisser plus étroitement des liens.

Jeanne Thomas, lors des préparatifs de la Fête des nation de 1964
Jeanne Thomas, lors des préparatifs de la Fête des nation de 1964

Un courage héroïque

En 1940, alors que la Cité Universitaire est occupée, le Délégué général, le Professeur Coulet, accablé par la défaite, délègue à Jeanne Thomas d’importantes responsabilités dans les contacts avec les autorités d’occupation. Jeanne Thomas met alors en oeuvre une aide en faveur des résidents prisonniers : 3 000 livres représentant 84 colis collectifs à des bibliothèques de camps, deux colis individuels envoyés à chacune des familles des 233 anciens résidents prisonniers au 31 décembre 1941, ainsi qu’un mandat de 100 francs, au nom de la Cité, pour que les familles envoient à leur prisonnier un colis constitué selon ses goûts et ses besoins. Elle apporta une aide matérielle et morale aux civils britanniques internés dans une caserne de Saint-Denis, suite à l’occupation de Paris. Jeanne Thomas organisa l’accueil dans des familles françaises des aviateurs tchécoslovaques arrivés en 1939 et en hébergea quelques uns dans son appartement du square de Port-Royal.

Plus tard, elle y abrita et nourrit, avec le soutien d’une organisation de résistance, des aviateurs britanniques tombés au combat, bravant les patrouilles allemandes. Elle se mobilise sans compter jusqu’à l’automne 1943. Elle est alors dénoncée à la Gestapo, accusée d’avoir fabriqué de faux papiers d’identité dans les bureaux de la Fondation Nationale, et doit se cacher en province.

Jeanne Thomas, qui ne connaissait pas la peur, n’a d’ailleurs sans doute pas jugé avoir accompli ainsi quoi que ce soit« d’héroïque. » En tout cas, à la Libération, elle n’a rien fait pour s’en prévaloir. Après la guerre, le rôle d’accueil de Jeanne Thomas s’illustre à bien des niveaux. Qu’il s’agisse de l’attribution du terrain sur lequel sera érigée la fondation du Mexique, ou d’une
manifestation d’étudiants mécontents de la qualité des repas au restaurant, de la représentation de la Cité au premier congrès international des étudiants de l’après-guerre à Prague, de la création de liens avec l’Unesco, ou de cette aide individuelle, morale et matérielle apportée aux résidents les plus démunis.

Une association des anciens

En 1948, consciente de l’universalité de la Cité, elle inspire à de jeunes anciens la création d’une association dont l’objectif est de rassembler ceux que la guerre avait dispersés aux quatre coins du monde. Cette dispersion pouvait être la principale force de cet organisme. Véritable cheville ouvrière de la nouvelle association, elle se consacra entièrement à l’Alliance Internationale après sa retraite en 1967 avec le simple titre de Vice-Présidente chargée du secrétariat.

Discours de Daniel Pepy

A cette occasion, le 19 novembre 1967, 150 personnes se réunissent autour de Jeanne Thomas pour un déjeuner. Le discours de Daniel Pepy (fondateur et président de l’Alliance) marqua la rencontre :

Ma chère Amie,

[…]Lorsque j’évoque les premières circonstances où j’ai eu l’occasion de vous rencontrer, j’en vois trois particulièrement significatives. La première fois que je vous vis, ce fut lors de la procédure d’admission qui fit de moi un résident de la Cité Universitaire, il y a presque trente ans. Vous étiez alors de l’autre côté de la barricade, un représentant de l’administration dont, par instinct, tout étudiant se méfie.

Pourtant tout le monde n’était pas de cet avis. Et i ly a quelques instants seulement, Madame Honnorat me communiquait quelques extraits d’une lettre que, au mois de février 1927, quelques jours à peine après l’entrée de Jeanne Thomas dans l’équipe de la Cité, le Président Honnorat lui adressait : « Je pense que nous avons eu la main heureuse», lui écrivait-il en parlant de sa nouvelle collaboratrice. Et pourtant, la tâche n’était pas aisée, ainsi que dans cette même lettre le fondateur de la Cité le soulignait : « La Cité m’absorbe de plus en plus. Elle ne me laisse pas un moment de répit, mais je crois bien que j’en ferai, envers et contre tous ce que je rêve d’en faire. »

Jeanne Thomas et madame Honnorat (au premier plan), lors d'un rassemblement commémoratif en l'honheur d'André Honnorat
Jeanne Thomas et madame Honnorat (au premier plan), lors d’un rassemblement commémoratif en l’honheur d’André Honnorat

Pendant la guerre, j’eus l’occasion d’approcher Jeanne Thomas d’une façon plus personnelle. C’était un soir, pendant l’occupation, elle avait réuni un certain nombre d’anciens résidents, dont beaucoup espéraient être de futurs résidents. Nous étions là peut-être une cinquantaine, dans ce même hall de la Fondation Nationale. Si je ne me trompe, M. Desclos était aussi présent, et nous écoutions une causerie de M. de Tarde sur « l’Enseignement de Lyautey». Je fus frappé, ce soir-là, de constater avec quelle obstination, avec quelle inlassable patience, vous vous efforciez de maintenir pendant ces tristes années l’idéal profond de la Cité. Réunir les Anciens habitant Paris n’était d’ailleurs qu’une de vos tâches parmi bien d’autres. Nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié ce que vous fûtes pendant ces dures années ; l’aide aux anciens résidents prisonniers de guerre, le secours aux aviateurs alliés en péril et en cours d’évasion, l’activité de résistante.

La Cité redevenue libre après la guerre – non sans mal – c’est en une troisième occasion que je vous rencontrai. Par une coïncidence remarquable, plusieurs d’entre nous avions eu chacun de notre côté l’idée qu’il fallait nous regrouper de façon à ne pas laisser dépérir le capital que nous avions accumulé pendant notre séjour boulevard Jourdan. Tout naturellement, c’est vers vous que nous nous sommes tournés. Combien de soirées n’avons-nous pas passées dans votre petit appartement du Pavillon médical, à discuter, préparer, rediscuter, mettre au point les statuts, que sais-je encore ! Vous aussi aviez eu la même idée que nous, et ils sont plusieurs ici qui voulaient se regrouper : Bossin, Fontaine, Leymarie, Blanchard, j’en oublie sûrement.

Ce fut alors la naissance officielle de notre Alliance, consacrée par une mémorable Assemblée Générale et un banquet présidé conjointement par M. Honnoral et M. Dautry. A partir de ce moment, votre activité allait de plus en plus se confondre avec celle de notre association, jusqu’au jour où M. François-Poncet vous demandait de vous consacrer uniquement à cette tâche.

Ce faisant, vous continuiez tout à fait la tâche d’animatrice que le Président Honnorat vous avait confiée. […]

Repas du 19 novembre 1967, avec Madame Honnorat, Robert Garric, ...
Repas du 19 novembre 1967, avec Madame Honnorat, Robert Garric, …

Réponse de Jeanne Thomas

Votre présence ici aujourd’hui, réelle ou par la pensée, me touche profondément. Ce n’est pas, bien sûr, sans un serrement de coeur que j’arrive au terme de mon activité officielle à la Cité
Universitaire. Votre amitié m’aide à admettre que le temps du repos est venu, qu’il va falloir, au moins partiellement, se détacher de ce qui, depuis quarante années, ou peu s’en faut, a été ma principale raison d’être.

André Honnorat et sa femme
André Honnorat et sa femme

Vous ne vous étonnerez pas que devant Madame Honnorat, à l’intention de ceux qui ont connu son mari comme de ceux qui n’ont pas ou ce bonheur, j’évoque cette matinée d’un jour gris de 1927 où, jeune, timide, pas du tout sûre de moi, mais pleine de bonne volonté et à l’avance conquise, je grimpais les cinq étages du 29, de la rue Le Peletier pour ma première entrevue avec M.Honnorat. Il me confia son grand dessein, comme lui seul savait le faire, et de sa voix profonde, il me dit:

« Mademoiselle, nous sommes en train de créer un nouvel ordre monastique ; vous sentez-vous la vocation? »

Cette vocation, je crois pouvoir dire qu’elle s’éveilla très vite. Ce fut le début de vingt années de travail joyeux, enthousiaste, passionné, dans l’ombre du grand patron et celle de l’équipe des bons serviteurs de la Cité que furent : M. BRANET, le Recteur COULET, M. DESCLOS.

Après l’intermède tragique que vous savez où le malheur des temps suscitait tant de tâches exaltantes et une trop courte collaboration avec le Recteur LIRONDELLE qui, en un mois, celui de septembre 1945, su rendre habitable de nouveau aux étudiants une Cité dévastée par cinq années d’occupation, j’eus la bonne fortune, mes chers amis, de devoir m’occuper de vous, continuant
d’ailleurs ce qui avait été commencé dès l’automne 40 où, à la Fondation Nationale, nous nous étions préoccupés de retrouver nos anciens dispersés par la tourmente.

Et maintenant, le moment est venu, pour moi, à mon tour, de dire merci. Merci à tous ceux qui sont ici, à ceux qui s’unissent en pensée avec nous et qui m’ont envoyé d’un peu partout – j’ai reçu plus de – 300 lettres – des témoignages de confiance et d’amitié qui m’émeuvent profondément. Merci pour votre générosité qui, elle, me remplit de confusion …

C’est vrai que je vous ai donné beaucoup d’affection, que vos soucis sont devenus les miens et que cela devint ma joie quotidienne de vous aider dans la mesure de mes moyens à régler vos problèmes. Les temps que nous vivions créaient bien des épreuves. J’ai très vivement ressenti vos tristesses et vos inquiétudes, amis prisonniers, réfugiés privés de vos familles – et du sol natal, persécutés raciaux, jeunes étrangers souffrant de votre solitude, étudiants ou anciens dépourvus de ressources ou soucieux de votre carrière ; j’ai partagé vos espoirs, résidents ou anciens résidents, désireux de réaliser plus pleinement l’idéal de la Cité Universitaire.

Les uns aidant les autres – et je salue ici les précieuses amies de l’Alliance qu’ont été Mme Cazamian et Mme Vera Seydoux, car mon rôle, bien souvent, s’est borné à celui d’un agent de liaison -, nous avons souvent trouvé des solutions à vos problèmes.

Vous êtes devenus mes amis. Vous m’avez fait une vie d’une étonnante richesse. Du fond du coeur, merci.

Je devrais m’arrêter là. Pourtant j’ai encore quelque chose à vous dire, quelque chose d’important : Cette confiance, cette amitié, que j’ai reçues de vous et grâce auxquelles nous avons pu bâtir, il faut que vous les mettiez au service de ceux qui vont continuer la tâche par attachement au généreux idéal dont l’Alliance est née.

Voyage en Vendée en 1962
Voyage en Vendée en 1962

Notre Alliance, elle est si riche de tant de possibilités. Partout, dans le monde, en souvenir des belles années de Montsouris, des mains sont prêtes à serrer d’autres mains.
Daniel Pépy vous racontait, il y a un instant, l’étonnant accueil que des anciens lui avaient réservé en Côte-d’Ivoire; des expériences analogues au cours de l’année écoulée, les uns ou les autres, nous en avons fait: A Prague, à Noël, en Grèce, à Pâques, à Mexico, à Tokyo, Kobé, Kyoto, à Moscou, en août.

Quand vous voyagez, de préférence avec nos groupes, mais aussi à titre individuel, pour vos missions ou vos affaires, demandez-nous des introductions. Vous serez heureusement surpris de leur efficacité. Je suis, pour ma part, toute prête, sur ce point, à vous aider. Le Square Port Royal où je transporterai mes pénates dans deux semaines n’est pas bien loin de la Cité. On me verra encore souvent dans les bureaux de l’Alliance.

Nous avons encore de belles tâches à faire ensemble.

Au revoir Jeanne

Les dernières années de Jeanne Thomas nous la montrent, dans son appartement parisien, entretenant une correspondance abondante avec ses amis, anciens résidents de la CiuP, dont elle reçoit aussi de nombreuses visites. Avec elle disparaissait, le 24 décembre 1995, un de ces êtres d’exception qui, révélés à eux-mêmes dans le service d’une grande cause, comme celle de la Cité internationale, en façonnent l’esprit et s’attachent à le maintenir à travers les vicissitudes de l’histoire.

Anniversaire de Jeanne Thomas en 1991
Anniversaire de Jeanne Thomas en 1991

Source : Revue des 50 ans de l’Alliance Internationale sur les bases d’un texte rédigé par le Professeur Eugène Nicole (N.Y) // Revue de l’Alliance 1967

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