Témoignages d’anciens : Essia RAMMAH (1981-1983)

Essia Rammah, ancienne résidente de la Maison des Provinces de France (1981-1983), nous raconte sa Cité internationale. Elle est ingénieur conseil en informatique. A quelle université étiez-vous inscrite, quelle formation suiviez-vous ? Paris était-il le seul choix possible ? J’étais inscrite en Maîtrise d’Informatique à l’Institut de Programmation – Université Pierre et Marie Curie (Paris […]

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Essia Rammah, ancienne résidente de la Maison des Provinces de France (1981-1983), nous raconte sa Cité internationale. Elle est ingénieur conseil en informatique.

A quelle université étiez-vous inscrite, quelle formation suiviez-vous ? Paris était-il le seul choix possible ?
J’étais inscrite en Maîtrise d’Informatique à l’Institut de Programmation – Université Pierre et Marie Curie (Paris VI).
L’année précédente, pour la licence, j’ai eu deux propositions : l’Université Paris VI et l’Université de Grenoble.

Quels souvenirs gardez-vous de vos années de séjour à la Cité ? Comment était la vie sur à la Cité ?
Ma vie à la Cité Internationale était un vrai bonheur et une joie immense ; et il en est de même pour quasiment tous les étudiants que j’ai croisés. Ces années ont été la concrétisation inattendue d’un rêve secret. Dès mon enfance, je rêvais d’un métier qui me permettrait d’être sollicitée pour mes connaissances et de voyager à travers le monde. D’abord pour la curiosité scientifique de ce qui se faisait dans les autres pays et aussi pour découvrir à l’occasion ces pays : les caractéristiques de la population, les goûts culinaires, l’architecture, les coutumes, les arts de vivre et découvrir aussi les arts tout court.

J’ai pu côtoyer et me lier d’amitié avec des étudiants venant de divers pays (la France, l’Italie, le Luxembourg, le Cameroun, le Sénégal, le Liban, la Syrie, l’Algérie, l’Argentine, l’Inde, la Corée, la Chine, la Suède, le Maroc, etc.)! Sans même voyager, me voila découvrir «un échantillon» de la vie dans le monde ; telle était la vie à la Cité Internationale ! C’était pour moi la grande SURPRISE !

Et cela n’a pas de prix. Cette ouverture d’horizon est un vrai trésor de vie. Avoir des amis du monde entier ; quelle joie ! On a formé spontanément, involontairement et sans aucun calcul, un groupe d’amis issus de ces différentes cultures. Je suis venue à la découverte d’une science et d’un pays ; et me voilà, bien que encore étudiante, découvrir un échantillon des populations de trois continents.

C’était pour moi le plus beau cadeau de la Cité Internationale. J’ai été invitée en Italie et au Luxembourg. J’ai participé à un vrai voyage organisé en Angleterre (Week-end de Pâques). J’ai dû décliner de nombreuses invitations et opportunités de voyages par défaut de moyens.

Il y avait aussi des fêtes, spectacles et théâtres. J’en ai profité, également, mais avec parcimonie car étudier et travailler en parallèle pour subvenir à mes besoins ne me laissait pas beaucoup de temps pour les loisirs.

Quand les jeunes filles de mon âge rêvaient de rencontrer le prince charmant ; moi je rêvais de liberté. A moi, la liberté d’étudier, de travailler, d’avoir des amis, de pouvoir sortir enfin avec ces amis (garçons et filles sans distinction, sans séparation misogyne entre les sexes), aller voir un film ou une pièce de théâtre sans que cela ne soit interdit par la pression de la famille ou « mal vu » par la société. Car malgré des lois précieuses, une liberté apparente et même réelle chez certaines familles en Tunisie, une jeune fille ne pouvait pas pratiquer ces activités culturelles sans être mal perçue par la société. Alors, une liberté ainsi tachetée, n’était pas à mon goût. Et je voulais la mienne, toute entière et en maintenant de bonnes relations avec ma famille. Ma vie à la Cité Internationale était le meilleur symbole de cette liberté.

Il faut rendre à César ce qui appartient à César : j’ai vécu une excellente expérience de mixité dès le collège en Tunisie et une mixité à la résidence universitaire en Tunisie (je crois même que ces deux expériences étaient les premières dans ce pays voire dans un pays arabe ou musulman) ; c’étaient de très belles réussites. Mais cette belle atmosphère était limitée au milieu scolaire ou estudiantin ; des  milieux sains. Un grand Merci à Bourguiba pour cela. Retrouver cette ambiance à la Cité internationale, sans la pression de la société et de la rue, était une autre grande joie pour moi et l’aboutissement d’une lutte pour la liberté individuelle. J’ai du m’imposer et arracher la mienne pour pouvoir venir étudier en France sans être mariée, autrement sans une prise en charge par un homme. Et de cela, j’en suis fière.

Pouvoir décider de manger dans le restaurant universitaire de son choix. Rien que cela, c’était pour moi un symbole de liberté et un petit bonheur, qu’on n’avait pas en Tunisie. J’aimais beaucoup un petit restaurant que les étudiants appelaient « Chez Marcel ». On y était servi à table. C’était notre gâterie. De plus, on y respectait les choix culinaires voire religieux. Il y avait toujours des œufs, du poisson ou une omelette, pour ceux qui ne mangeaient pas de viande de porc. On nous servait même du Couscous et de la Paëlla, ce qui était exceptionnel à l’époque. Même en ville, très peu de restaurants servaient ces plats à l’époque.

Les valeurs humanistes à l’origine du projet de la Cité Internationale, étaient-elles une réalité ou une utopie ?
Des valeurs humanistes existaient à la Cité Internationale, sans aucun doute. Entre étudiants, il n’y avait pas de racisme ni de misogynie, comme je viens de l’expliquer. Idem pour l’administration : mon histoire en témoigne. J’ai pu avoir le privilège d’habiter la Cité Internationale au nom de ces valeurs. Avant, j’habitais un foyer d’étudiantes tunisiennes qui a du être vidé et la Maison de Tunisie ne recevait que des garçons ou des couples mariés. Alors j’ai eu droit, à titre très exceptionnel, de loger à la maison de Provinces de France. Nous étions, je crois, quatre filles dans ce cas.

Des opérations de soutien humanitaire organisées spontanément par les étudiants, existaient également pour soutenir des causes humanitaires.

Le respect des vies des uns et  des autres est assuré. Le milieu des étudiants est un milieu sain (à la Cité Internationale ou ailleurs); l’amitié est vraie, sans calcul, le respect existe sans comédie. L’amitié entre les filles et les garçons est vraie. A la Cité Internationale, des couples se forment et vivent leurs vies sans interdiction ni préjugé.

Etes-vous restée en contact avec des résidents de la même époque que vous ou des Anciens de la Cité ?
Oui, je suis restée en contact avec quelques amis ; j’ai le sentiment qu’ils font partie de ma famille. J’ai perdu le contact avec regret avec d’autres que j’aime beaucoup. Cet été, j’ai retrouvé avec une grande joie trois autres amis précieux que j’espère garder jusqu’à la fin de ma vie. L’amitié compte beaucoup pour moi même si les circonstances de la vie ne m’ont pas permis de préserver tous les contacts que je voulais.

En tant que membre de l’Alliance Internationale, quel rôle souhaitez-vous jouer en faveur de l’association des Anciens et plus généralement de la Cité ?
Je travaille pour une grande société de services informatiques (ATOS ORIGIN INTEGRATION). Je suis prête à contribuer à la vie des étudiants et des ex-résidents en fonction de mes moyens et disponibilités. J’ai quelques problèmes de santé et gardé des séquelles (fatigue récurrente et difficulté à la marche).

Etes-vous revenue à la Cité depuis votre séjour ? Aimeriez-vous revenir à la Cité, si l’occasion vous en était donnée ?
Une amie avait logé à la Cité Internationale pour quelques semaines en tant que stagiaire et j’ai pu lui rendre visite ; je n’ai pas pu rentrer dans la maison des Provinces de France. J’aimerais bien y revenir et y faire un tour, voire visiter les chambres que j’avais habitées.

Comment percevez-vous la Cité aujourd’hui ? Avez-vous l’impression qu’il y ait eu des changements  importants ?
Je ne saurais le dire. J’espère que la vie y continue avec la même joie que j’ai eue. Que la Cité Internationale continue de servir d’école et de symbole à l’ouverture au monde entier. J’espère qu’aucun étudiant y ayant vécu ne pourra en ressortir avec des idées racistes mais seulement avec de belles images de l’Humanité entière. Certains ont le don de voir avec les deux yeux ce que d’autres ne voient que d’un œil. D’autres encore ne perçoivent que le mal et cachent le bien. J’espère que la Cité Internationale contribue au redressement de ces déformations de la réalité.

NB.
J’aimerais ajouter mes remerciements pour votre questionnaire et exprimer ma vive reconnaissance à tous ceux qui m’ont aidée de près ou de loin, directement ou indirectement tout au long de ma vie, du berceau à ce jour. La liste est longue, à commencer par ma famille, mes professeurs, mes amis jusqu’au personnel de la cité universitaire.  Je n’oublierai pas de citer et remercier très vivement mon professeur M. Gilles Clavel, qui m’a encouragée à continuer mes études en France, car ma spécialisation ne s’enseignait pas en Tunisie.

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