Léopold Sedar Senghor (1906-2001) – Nationalité sénégalaise, ancien Président de la République sénégalaise, Ancien résident de la Fondation Deutsch de la Meurthe (1931-1934)
Poète, écrivain et homme politique sénégalais, il a été le premier Président du Sénégal (1960-1980) et il fut aussi le premier Africain à siéger à l’Académie française. Sa poésie essentiellement symboliste, est construite sur l’espoir de créer une Civilisation de l’Universel, fédérant les traditions par-delà leurs différences. Par ailleurs il approfondira le concept de Négritude, notion introduite par Aimé Césaire, autre ancien résident de la CiuP.
Au cours de ces années étudiantes, il réside à la Cité internationale : « C’est certainement à la Cité universitaire que j’ai fourni le travail le plus constant, sinon le plus acharné. Je travaillais dix heures par jour. Mais, du samedi à dix-huit heures au lundi matin, c’était le repos et la distraction: théâtre, cinéma, concert, musée, mais aussi soirée ou plutôt matinée dansante du dimanche et, de préférence, à la Cité universitaire.»
En 1955, dans le bulletin de l’Alliance, il témoigne sur sa vie parisienne et sur son séjour à la Cité.
L a Cité Universitaire, ou plus exactement, la Fondation Deutsch de la Meurthe, ce fut d’abord, pour moi, un nid de loisirs. Je venais d ‘obtenir ma Licence ès-lettres, après trois ans d’internat au Lycée Louis-le-Grand. Bien sûr, il s’agissait de préparer l’agrégation, mais aussi, mais d’abord, de me reposer et distraire pendant un an. La rédaction de mon mémoire de Diplôme d’Etudes supérieures était le moindre de mes soucis. Mon maître était Fortunat Strowski, qui me donnait le ton : un esprit distingué dont l’humanisme se teintait de scepticisme. Je me rappelle les visites que je lui faisais à Saint-Germain-des-Prés. Il aimait s’entourer d’édition rares, ,de belles reliures, de femmes élégantes à l’accent étranger. Le titre de mon mémoire était l’Exotisme chez
Baudelaire, un sujet qui lui convenait à merveille. A moi aussi.
Mais je devais d’abord me reposer et distraire.J’avais le cadre. J’habitais à l’étage. Je me réveillais avec le jour, au chant des oiseaux dans les arbres ; et la vigne-vierge qui tapissait mon pavillon, chaque matin, me disait bonjour en me tendant une main verte et douce. Il y avait surtout le Parc Montsouris, de son nom. Je sortais, je l’ai dit, du Lycée Louis-le-Grand, après quelques seize ans de pensionnat. J’avais une âme de fleur bleue et de brume : J’avais besoin d’air, d’eau, de soleil, de gazon vert et d’ombrages. J’aimais Verlaine et les films légers où triomphait Liliane Harvey.
Le Parc Montsouris ! … Je m’y promenais au soleil levant, après la partie de ping-pong et la quotidienne douche froide. J’y bavardais avec le hanneton et le moineau et le brin d’herbe et le soleil sur le gazon où je marchais longuement pour le seul plaisir de respirer et de sentir jouer librement mes muscles. Pensez donc, j’avais eu le prix de gymnastique en Khâgne.
Et je cultivais l’amitié : la seule chose que j’avais su faire à Louis-le-Grand, avec la gymnastique. J’y étais arrivé, en 1928, tout neuf, les yeux grands ouverts, comme l’antilope. Presque tous mes camarades m’étaient apparus sous leur visage d’enfance, généreux et pleins d’esprit. Tout m’amusait et m’instruisait chez eux, ce furent mes véritables maîtres. Europe, que n’as-tu conservé, pour moi, ce visage d’aurore ? … J’avais retrouvé quelques camarades à la Cité. Je m’étais lié à d’autres. Je revois Pujol, Pignon, Giraud le fils du Directeur; Paul Guth était une boîte magique d’où fusaient toutes sortes de mots cocasses. Robert Brasillach restait distrait, sous sa timidité de jeune fille; il était déjà comme auréolé par la gloire et la mort. André Soubiran, « l’homme blanc», participait du personnage officiel : c’était l’interne qui intimidait un peu ma santé de barbare.
Je faisais souvent de de longues expéditions hors de la Cité. A la Bibliothèque Nationale, d’où partaient les longs courriers pour le vaste monde, je m’embarquais avec Baudelaire sur un bateau pour l’Île Bourbon et l’Île de France. Un autre jour, c’était avec Rimbaud, ou Gauguin. Je passais des après-midi entiers dans les musées. Malgré tout, les meilleurs moments étaient ceux que je consacrais à mes amis. Pham Duy Khiem était de ceux là et le poète Césaire. Celui-ci habitait alors en banlieue, à Cachan, avec quelques compatriotes, un hôtel bruissant de cris et de chants. Nous bavardions pendant des heures en buvant des punchs antillais. Rien de tel pour faire flamber l’imagination et délier la langue. Naturellement, nous discutions politique et poésie avec la fougue assurée de la jeunesse, nous construisions un monde nouveau, fraternel à tous les hommes, où les peuples coloniaux auraient leur mot à dire, apporteraient, enfin, leur vérité. Ce n’était pas pure illusion, car, depuis, les coloniaux ont fait, dans la littérature française, une irruption remarquée.
«La Cité Universitaire de Paris», quelques simples mots, et tout un monde magique se lève dans, ma mémoire. Je ne dirai jamais assez tout ce que je lui dois. Elle m’a appris, à l’âge où l’homme est sans préjugés, à connaître, à aimer les hommes des autres races et continents. Un internationalisme qui n’est pas aliénation de soi : tout au contraire.
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