Témoignage d’ancien – Nadia Katz-Rigaud (1953 – 1954)

Je vous parle d’un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. C’est en effet de 1950 à 1952 puis, après une année à Harvard, en 1953-1954, que j’ai vécu au Collège Franco-Britannique. Les arbres du parc ne donnaient pas encore de l’ombre, mais les iris qui bordaient le bâtiment m’ont révélé […]

Print Friendly, PDF & Email

vers-1988--2._2020Je vous parle d’un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. C’est en effet de 1950 à 1952 puis, après une année à Harvard, en 1953-1954, que j’ai vécu au Collège Franco-Britannique. Les arbres du parc ne donnaient pas encore de l’ombre, mais les iris qui bordaient le bâtiment m’ont révélé la beauté de cette fleur.

L’atmosphère qui régnait dans la maison à l’époque bénéficiait de la bienveillante activité de son directeur, Monsieur Desclos (il avait surement un prénom, mais l’usage de l’époque n’était pas de connaître les prénoms). Il encourageait les rencontres en organisant des réunions de toute sorte dans la Cafétéria (manifestations artistiques, conférences,…), mais aussi grâce à la Cuisine. J’y reviendrai.

Abstraction faite de cet aspect de la vie au « Franco », la discipline y était stricte ; en ce sens que nul mâle n’était autorisé à accéder à l’aile réservée aux Jeunes Filles, dont l’entrée était protégée, sans aucun problème d’ailleurs, par la seule présence de Monsieur Delage, petit vieillard sec mais débonnaire. Tout au plus acceptait-il parfois la présence à ses côtés de Turan, un brave étudiant turc que la vue des jeunes filles émouvait. L’aile des garçons, au dela des bureaux directoriaux, n’était pas protégée, elle ; c’était avant l’explosion égalitaire du féminisme post-soixante-huit.

À la Cuisine se retrouvaient, pour faire chacun leur propre « bouffe », les habitués rebutés par la médiocrité des Restaurants universitaires encore sous le coup des restrictions qui ont perduré longtemps après la guerre. C’était, comme on dirait aujourd’hui, très « convivial ».

Parmi nous se trouvait un gamin de seize ans, avec qui je n’avais pas particulièrement d’atomes crochus (il venait tout juste de passer son Bac à Sofia où son père était attaché culturel) qui un jour nous affirma qu’il pourrait facilement s’introduire chez moi par la fenêtre. J’occupais la dernière chambre du premier étage donnant sur le parc. Aussitôt dit, aussitôt fait. Une petit bande se rassembla sous ma fenêtre, où je me tenais, pour admirer l’alpiniste. Par quelle coïncidence advint-il que Monsieur Desclos passât justement par là à ce moment, je ne sais. Toujours est-il qu’il se plaça calmement dans le cercle des admirateurs de l’exploit…mais les réjouissances s’arrêtèrent là et furent même suivies d’admonestations dont j’ai oublié le détail.

Outre les réunions de préparation à l’Agrégation d’anglais que programmait Monsieur Desclos (il avait été angliciste) une troupe de théâtre  se  constitua  en  1951-52,  où  les  Anglais  de  la maison interprétèrent She Stoops to Conquer. J’y jouai le rôle de « business manager » ( !) qui me fit faire une tournée préalable auprès des lycées de Paris (il ny en avait guère plus d’une vingtaine à l’époque) pour proposer le spectacle. J’ai oublié les succès qu’il remporta, je me rappelle seulement que nous, au Franco, nous nous sommes bien amusés. J’ai aussi pris des photos avec mon Leica, qui devraient être conservées dans les archives de la maison.

Au Secrétariat qui précédait le bureau directorial régnait, outre une dactylo qui ne disait mot, l’intransigeante Mademoiselle Stréletzky grande et maigre, les cheveux gris noués en chignon, avec qui il n’y avait jamais de difficultés tant sa seule présence proscrivait toute rébellion J’osai quand même m’adresser à elle, la veille de mon mariage (avec un monsieur très privilégié qui possédait, chose si rare en ces temps de vaches maigres, une automobile !) pour la prier de laisser mon fiancé monter à ma chambre quelques instants pour y prendre mes bagages déjà tout préparés. Elle accepta, généreusement, puisque les bans étaient déjà publiés. Je ne pense d’ailleurs plus aujourd’hui que la dame était aussi terrible que nous nous le figurions à cette époque où l’on craignait et respectait l’autorité.

Je garde aussi un souvenir sympathique des deux femmes de chambre qui œuvraient toujours ensemble, mais dont les noms se sont effacés de ma mémoire. Je ne suis restée en relations avec aucun(e) des résidents de la Cité – je n’ai d’ailleurs jamais connu personne des autres maisons – Je dirai seulement que les trois années que j’ai passées au Franco ont été les plus épanouissantes de ma jeunesse.

Print Friendly, PDF & Email

You may also like

0 comments