Historien post-doctorant, Matthieu Gillabert (Institut des Sciences sociales du Politique – Paris Ouest) mène une recherche, soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, sur les réseaux des étudiants francophones à la Cité dans les années 1950 et 1960. Les contacts et les réseaux établis par les résidents lors de leur séjour à la Cité ont-il constitué, par la suite, des ressources pour développer des associations et des échanges internationaux francophones ? Comment (dans quelles langues, dans quels lieux, par quelles activités) nouait-on des contacts à la Cité ?
Il est bien établi que les institutions de la Francophonie ont largement bénéficié de l’engagement d’anciens étudiants de la Cité internationale universitaire de Paris : que l’on pense à Abdou Diouf, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie jusqu’en 2014 ou au président Senghor qui fut un pionnier de ce mouvement ou encore à l’infatigable Jean-Marc Léger, premier secrétaire de l’Agence de coopération technique et cofondateur de l’Association des Universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF). Les trajectoires de ces individus montrent à elles seules que ces deux formes d’internationalismes – la Francophonie et la Cité internationale – s’entremêlent, dès l’émergence de la première dans les années soixante.
C’est en effet dans le sillage de la décolonisation que se développe la notion de francophonie, terme lui-même forgé par Onésime Reclus au cœur du mouvement de colonisation au xixe siècle. Le concept reste vague car il est issu de plusieurs courants culturels et idéologiques, pas toujours liés les uns aux autres. Les promoteurs de la francophonie font généralement partir l’histoire du mouvement avec la parution du numéro de la revue Esprit (1962) où l’on exalte une communauté de valeurs autour de la langue française. Ce sont aussi des mouvements régionaux, notamment au Québec, qui s’emparent de la francophonie comme d’un dénominateur identitaire. Plus prosaïquement, la francophonie sert, dans le contexte de la décolonisation, comme espace de négociation sur les programmes de développement avec l’ancienne métropole. Enfin, la francophonie fédère, à l’intérieur d’un espace international, de nombreuses branches professionnelles qui, à l’exemple des journalistes, créent des associations francophones. Malgré cette polysémie, le mouvement débouche sur la création d’organismes concrets tels que l’Agence universitaire francophone (1961) et l’Agence de coopération technique (1970).
Parallèlement à ces diverses associations, la francophonie constitue aussi un espace de circulation des personnes et de la culture. La chanson, la poésie et plus largement l’édition sont autant de dimensions favorisant les échanges. Ceux-ci passent souvent par Paris mais on voit apparaître également des formes de solidarités entre francophonies « périphériques ». À côté de celle des artistes et des intellectuels, la circulation des étudiants est un facteur important de ces différentes mises en réseau. À ce titre, la Cité internationale universitaire de Paris est un lieu central où se rencontrent des étudiants issus de toute la francophonie, et bien sûr au-delà.
La création de la Cité est antérieure à la francophonie des années soixante. Pour autant, des convergences apparaissent dans les discours des promoteurs et dans le fonctionnement des circulations : c’est l’hypothèse de cette recherche. À la Cité comme dans la plupart des organisations francophones est prônée la compréhension internationale qui serait gage de la paix. Dans les deux organismes, la langue française est la langue de communication bien qu’à la Cité, cette question n’ait jamais été vraiment discutée. Enfin, à la Cité comme dans l’espace francophone, il y a une combinaison entre centre et périphérie : d’une part, la Cité attire à Paris les étudiants des « périphéries francophones » et, d’autre part, elle permet à ces étudiants de se rencontrer et de créer des réseaux qui, par la suite, ne passent plus forcément par la France. Le centre permet aux périphéries de se rencontrer.
Cette hypothèse a trouvé certaines confirmations dans les archives de la Cité mais il est nécessaire de la confronter à des témoignages d’anciens résidents. C’est pourquoi je lance un appel à tous les ancien.ne.s résident.e.s des années 1945-1970 dans l’une des cinq maisons sélectionnées pour cette recherche :
- la Fondation suisse,
- la Maison des étudiants canadiens,
- la Fondation Biermans-Lapôtre,
- la Maison du Maroc,
- la Fondation Lucien Paye.
Si cette recherche vous intéresse, si vous avez simplement le souhait d’apporter un éclairage ou une anecdote, je serai très heureux d’en discuter avec vous et d’enrichir ainsi mon enquête à la Cité.
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