Nationalité belge, scénariste, monteur et réalisateur, ancien résident de la Fondation Biermans-Lapôtre. Emile Degelin a accepté de répondre à nos questions. Nous l’en remercions. Voici son témoignage.
« De 1949 à 1951 j’ai résidé dans la Maison Belge (Fondation Biermans-Lapôtre) à la Cité. Je suivais les cours de l’Ecole Nationale de la Cinématographie, rue de Vaugirard, Paris (actuellement l’Ecole Nationale Supérieure Louis Lumière incorporée dans la Cité du Cinéma, le Hollywood à la Seine de Luc Besson). Je suis sorti comme major de promotion précédant entre autre Jacques Demy. Il n’y avait pas d’institut équivalent en Belgique.
Je me suis intégré immédiatement dans la Cité dont l’atmosphère internationale me stimulait. Pourtant en Belgique je me sentais plutôt comme un marginal.
Dans la Cité il n’y avait plus de frontières entre les différents pays, toutes les cultures étaient à portée de main, chaque pavillon organisait des conférences, des expositions, et des partys !
La paix entre les peuples paraissait une évidence !
Le compatriote qui occupait la chambre voisine, Albert De Somer, stagiaire à l’Institut Pasteur de Paris, est resté un de mes meilleurs amis.
En 1985 j’ai revisité la Cité avant d’écrire un roman autobiographique. En effet, après ma carrière de cinéaste, j’ai débuté comme écrivain (en néerlandais) et obtenu le prix pour le meilleur début littéraire en 198O avec mon roman « De bevrijding » (la Libération). Au total j’ai écrit sept romans. Actuellement à l’âge de 86 ans j’écris des poèmes. De 1962 à 1991 je fus professeur au Rits, l’institut supérieur flamand dont j’ai fondé la section cinématographique et où je fus professeur jusqu’à ma retraite en 1991.
Comment je suis « tombé » dans le cinéma ? Ma famille compte plusieurs membres qui paraissent doués pour le dessin, quatre parmi eux sont devenus architecte. Dès l’enfance j’étais fasciné par le cinéma muet (eh bien oui !!!). L’aspect virtuel dépassait la réalité et correspondait parfaitement à ma nature introvertie. Je pratiquais le dessin et la photographie.
Dans une aile de la Maison Internationale de la Cité je disposais d’une petite chambre noire !
Apres mes études à Paris, j’ai fait des stages professionnels à Londres chez John Greerson, à Prague aux Studios Barrandov et à New York à l’Actors Studio.
Lors de mon retour en Belgique en 1953 j’y étais le seul professionnel, avec tous les avantages et désavantages que cela comporte ! J’étais avant tout obsédé par la primauté visuelle du 7eme art. Je côtoyais des musiciens expérimentaux avec lesquels je concevais des courts métrages,
Je menais une vie de bohème, et cohabitais avec un compositeur et futur philosophe, en compagnie de nos épouses respectives. Mon épouse de l’époque était l’écrivaine française Jacqueline Harpman (plus tard Prix Médici).
La présentation de mon seul film flamand « Life and death in Flandres » à la 13ème Berlinale, fut très appréciée par la presse internationale. Mon film était réalisé par une équipe de prise de vues comportant en tout trois personnes, avec le budget d’un film documentaire ! J’étais arrivé à obtenir la collaboration des habitants d’un petit village Doel aux bords de l’Escaut, qui depuis une vingtaine d’années abrite deux centrales nucléaires et est devenu entretemps un village fantôme. Tous les acteurs et actrices étaient des paysans de la région. Le caractère austère du film se trouvait renforcé par leur jeu sobre.
A Berlin j’ai également rencontré une hôtesse du festival qui est devenue ma seconde épouse, et avec laquelle j’ai eu trois enfants.
Au festival de Cannes en 1960, mon film « Si le vent te fait peur » a scandalisé fortement une partie de la presse française par le sujet de l’inceste. A vrai dire le film n’était pas une spéculation pour provoquer un effet de choc. Dans mon premier scénario le couple principal n’était pas frère et sœur, mais deux jeunes qui se connaissaient parfaitement et n’étaient pas victimes d’un coup de foudre. Cela nécessitait entre autre des flashbacks pour montrer qu’ils se connaissaient bien. L’idée d’en faire frère et sœur me libérait de cette nécessité ! Quant au côté sensuel : dans mon film les protagonistes ne se donnent même jamais la main !
La critique italienne, hollandaise et américaine était fort élogieuse. Le critique du Figaro traitait les vers d’un poème qui est cité dans le film comme des vers abscons ! Or il s’agissait d’un poème de Musset dont le titre du film est extrait.
Le film ne pouvait plus être importé en France ! Grâce à la valise diplomatique il arrivait en 1961 quand même à franchir la frontière et le film remportait au Musée de l’Homme à Paris le prix du meilleur film indépendant. Il ira également en première à New York au Rockefeller Center.
Contrairement aux cinéastes de la nouvelle vague j’avais appris le métier professionnellement, j’attachais une primauté absolue à l’aspect visuel et à la structure et la forme d’un film, les dialogues restaient au second plan. Quelqu’un comme Jacques Demy, qui est resté longtemps mon ami, se trouvait en France dans une situation similaire !
Le tournage en décor naturel et l’abandon du studio n’était pas une innovation due à la nouvelle vague, mais au néoréalisme italien.
Quant à l’aspect « expérimental » de certains de mes films, cette désignation me semble correcte. J’étais l’homme orchestre de mes films : auteur du scénario et des dialogues, réalisateur, monteur, souvent aussi producteur. J’ose prétendre que je connaissais bien mon métier car l’apprentissage en est à la portée de tout le monde.
Carl Dreyer, Robert Bresson, Ingmar Bergman étaient mes réalisateurs préférés.
La Cité constituait pour l’espèce d’apatride que j’étais et suis resté un cadre idéal. Je ne me suis jamais senti intégré dans la société belge ou flamande. Dès le premier jour à la Cité je me sentais comme moralement soutenu par la présence des centaines d’étudiants de tous les pays qui s’y livraient à l’élaboration de leur avenir. Prêt à recommencer !!!
PS : mon film favori est mon long métrage en couleurs « Palabre » qui fut sélectionné pour le festival de Moscou en 1969. Il fut bien accueilli par la presse et invité à la Semaine des Réalisateurs à Cannes. J. Rouch a écrit une excellente critique dans le mensuel France-Eurafrique de juin 1969. Les Russes le trouvaient en partie trop formaliste ! Le film montre trois étudiants congolais qui vont passer un week-end à la mer du Nord en Belgique et me servent d’observateurs de notre société blanche. Finalement ce n’était pas un film sur des Africains mais sur des Européens.
J’ai souvent séjourné en Afrique pour la réalisation de documentaires. »
Ci-dessous l’un de ses films :
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